VÉNISSIEUX : AUX MINGUETTES, L'ESPACE PUBLIC SE RÉINVENTE GRÂCE À L'URBANISME FÉMINISTE (ET ACCUEILLE MIEUX LES FEMMES)
ÉGALITÉ FEMMES-HOMMES • La ville de Vénissieux (Rhône) intègre une démarche d'urbanisme féministe pour transformer une esplanade aux Minguettes. L'objectif ? Offrir un espace public plus inclusif, sûr et confortable, notamment pour les femmes.
Autrefois connue pour ses rodéos urbains et son statut de zone de non-droit, l'esplanade Jean Cagne, dans le quartier des Minguettes à Vénissieux, près de Lyon, a entamé une transformation radicale. Rebaptisée esplanade Frida Kahlo, elle incarne aujourd'hui une approche ambitieuse : repenser l'espace public à travers le prisme de l'urbanisme féministe.
« Avant, c'était juste un lieu de passage. Aujourd'hui, c'est un espace de vie pour toutes les populations », affirme Julien Le Glou, directeur du grand projet de ville. La métamorphose a débuté en 2020 et a pris forme l'automne dernier avec des aménagements en apparence simples : des bancs de différentes tailles, de la végétalisation et des peintures au sol... Rien de « révolutionnaire » ? Et pourtant.
Penser la ville pour tous
« Les villes ont toujours été pensées par des hommes et pour des hommes », souligne Michèle Picard, vice-présidente de la Métropole de Lyon et maire de Vénissieux. « Or, quand on pense aux femmes, on pense aussi aux enfants, aux personnes âgées, aux personnes à mobilité réduite, dont elles s'occupent pour l'immense majorité. C'est donc toute la société que l'on inclut. »
Des trottoirs trop étroits pour les poussettes, des aires sportives monopolisées par les hommes, un éclairage insuffisant... Autant de facteurs qui ont freiné la réelle mixité dans ce quartier (et ailleurs). « Les femmes souhaiteraient pratiquer du sport dans des lieux plus discrets et plus sécurisés, à l'abri des regards, affirme l'élue. Mais pour le savoir, il faut interroger les principales intéressées. »
La consultation, clé de l'urbanisme féministe
Ainsi, la première étape de l'« urbanisme féministe » passe par la consultation. Pour transformer cette esplanade, la ville a fait appel à l'agence HBLA, en collaboration avec Womenability, spécialisée dans les questions de genre. « Nous avons organisé des ateliers pour identifier les besoins concrets des habitants, faire un diagnostic des usages et orienter la conception du projet », explique Camille Sachot, urbaniste, spécialiste des questions de genre et d'aménagement urbain inclusif, co-gérante de Womenability. Résultat ? « Il n'y avait pas grand-chose pour rester sur la place », explique l'urbaniste. « Et ce qui existait ne permettait pas de s'adosser ou d'avoir une vue sur le tram. Ainsi, peu de femmes s'appropriaient l'espace. »
Les habitants ont demandé plus de bancs et des espaces où elles se sentent en sécurité sans être exposées. « Il a fallu revoir l'emplacement des assises, leur orientation et leur proximité les unes par rapport aux autres », détaille Hugo Bruley, paysagiste au sein de HBLA. « Les jeunes filles nous ont aussi demandé d'installer de la végétation pour créer de l'ombre sur la place mais surtout pour avoir une distance visuelle avec les bâtiments. Les jeunes femmes se sentent observées par leur père, leur frère, leur oncle, depuis les fenêtres et un couvert végétal permet d'atténuer le sentiment de surveillance. » Le mobilier urbain joue également un rôle central dans ce réaménagement. « Nous voulons que ces installations encouragent les femmes à investir l'espace public plus longuement », explique Sara de Gouy, architecte designer. Inspirée par l'univers de Frida Kahlo, elle a conçu des bancs en béton réemployé, colorés comme le tableau La Suspension de l'artiste, et accueillants. « Chaque banc a été pensé pour encourager l'usage de tous avec des assises de tailles variées, des accoudoirs, des configurations étudiées pour être facilement relevées pour les personnes âgées, et des assises mobiles pour plus de flexibilité : si vous voulez être seule, en groupe, en famille..., poursuit-elle. Nous faisons tout pour donner envie de rester. La couleur est aussi importante pour inviter à s'installer. »
Une approche globale pour une ville plus inclusive
Ce projet s'inscrit dans une approche plus large d'aménagement urbain « inclusif ». La Métropole de Lyon entend l'étendre à d'autres quartiers, comme Villeurbanne, et s'inspire de villes « modèles » comme Vienne. Dans la capitale autrichienne, un parc a été aménagé pour qu'il puisse être utilisé par les filles et les femmes. Dans un autre quartier « pilote », certains feux de circulation offrent un temps supplémentaire aux piétons et des toilettes publiques ont été construites. « La question du genre se pose depuis une quinzaine d'années dans l'urbanisme, observe Camille Sachot. Elle vient du constat que, selon notre genre, nos pratiques dans l'espace public sont très différentes. » Elle poursuit : « L'urbanisme féministe ne se contente pas de réaménager les lieux, elle s'efforce de comprendre comment ces espaces sont vécus au quotidien. Et elle cherche à les transformer pour que tout le monde, en particulier les femmes, puisse s'y sentir à l'aise. » Pour elle, il ne s'agit pas d'opposition. « Le but n'est pas de chasser les hommes des espaces publics ; d'ailleurs, même si on le voulait, on n'y arriverait pas », sourit-elle. Avant de continuer : « Prioriser des espaces pour les femmes ou les filles, ce n'est pas exclure les hommes. Eux aussi n'ont aucune difficulté à s'approprier un espace. Mais en mettant l'accent sur les besoins des femmes, on intègre des usages d'ordinaire moins considérés et trop négligés. » Et de conclure : « Il faut corriger ces situations d'inégalité. Nous aussi, en tant que femmes, participons à l'économie du pays. Il est donc normal qu'on réfléchisse à la manière dont cet argent public est investi pour nous faciliter la vie. »